Nicolas GÉRARD.

L'avenir du wallon: quelle unanimité ?

 Dressêye:


Les réflexions qui suivent sont extraites du mémoire de licence réalisé par l'auteur dans le cadre de ses études en philologie romane à la Katholieke Universiteit Leuven en 2002 par Nicolas Gérard (sous la direction du Prof. Pierre Swiggers), et intitulé: "La standardisation et l'enseignement des langues régionales romanes de Wallonie à la lumière de son institutionnalisation". Cette démarche s'inscrit, par sa thématique, dans la lignée de travaux antérieurs, rédigés par des étudiants flamands sur des aspects sociolinguistiques du wallon. Cet intérêt des romanistes du nord du pays pour les langues régionales de la Wallonie est non seulement la marque de leur ouverture d'esprit, mais également celle de l'intérêt que présente la Wallonie romane pour les sociolinguistes d'où qu'ils viennent (M. Francard).


Mes attaches familiales m'ont rendu sensible aux pratiques linguistiques de la Wallonie. Une évidence s'est imposée à moi dès que j'ai choisi de faire du wallon d'aujourd'hui la thématique de mon mémoire : sa vitalité décroissante, liée à une évolution sociale complexe.

Une seconde évidence a été celle d'importantes lacunes dans les études portant sur le wallon. Si les aspects spécifiquement dialectologiques ont été traités de maîtresse façon, bien d'autres points de vue, essentiels dès qu'on s'intéresse à la vitalité d'une langue, restent peu étudiés. Ainsi, nous manquons par exemple de repères statistiques élémentaires (combien de locuteurs parlent encore wallon aujourd'hui ?). Nous devons aussi constater que la pédagogie du wallon ne fait pas l'objet d'initiatives structurées à l'échelle de la Wallonie.

Un mémoire ne pouvant couvrir des sujets trop ambitieux, je me suis concentré sur quatre institutions représentatives en matière de pratique, de diffusion et de promotion du wallon. Il s'agit du Conseil des Langues Régionales Endogènes de la Communauté française de Belgique (CLRE), de la Société de Langue et de Littérature wallonnes (SLLW), de l'Union Culturelle Wallonne (UCW) et de l'association Li Ranteule.

Il m'est apparu très rapidement que ces quatre institutions divergeaient sur un point central : la standardisation du wallon, comme préalable à sa promotion, en particulier dans le domaine de l'enseignement. Singuliers ayant publié à plusieurs reprises des prises de position, parfois antagonistes, à ce sujet, il ne me sera pas nécessaire de rappeler la teneur des débats en cours, qui ont fait l'objet récemment d'une excellente synthèse proposée par W. Bal.

La Société de Langue et de Littérature wallonnes, fondée en 1856, a soutenu la création de chaires universitaires de dialectologie wallonne (dès 1920 à Liège). Mais cet intérêt pour l'enseignement du wallon était essentiellement lié à des préoccupations descriptives et philologiques, et non à la promotion d'une pratique effective des langues régionales. La SLLW s'est très peu exprimée sur cette question, si ce n'est, à date récente, en réaction à des prises de position que certains de ses membres n'entendaient pas cautionner ou partager: notamment la création d'un rfondou walon - un wallon standardisé -, comme passage obligé pour une pédagogie efficace au plan communicationnel. La SLLW compte en son sein plusieurs promoteurs du wallon à l'école, certains relayant les options dialectologiques de la société, d'autres reconnaissant la nécessité de dépasser certaines variations subrégionales : l'unanimité sur le wallon à enseigner est loin d'être assurée parmi les membres de cette société.

L'Union Culturelle Wallonne défend la vision d'un wallon langue vivante, en s'appuyant sur quelque trois cents sociétés locales ou régionales qu'elle fédère. Elle regroupe notamment les cinq centres provinciaux du walon è scole. Ici encore, l'unanimité n'est pas parfaite. Si les membres de l'UCW s'accordent généralement sur la nécessité de l'enseignement du wallon, eux aussi divergent sur la variété de langue à enseigner. Certains préféreraient un wallon uniformisé, d'autres continuent de privilégier la variété que leur ont transmise leurs parents. Ces débats internes sont reflétés dans le document Quéne planificåcion po nosse lingaedje walon ?

Li Ranteule défend, depuis 1995, la vision selon laquelle le wallon doit suivre les évolutions de la société. Il est donc nécessaire d'unifier autant que possible les nombreuses variétés wallonnes en un wallon commun, ou rfondou walon, afin de permettre la communication en langue régionale entre les différentes régions de la Wallonie. Cela conforterait en outre la position du wallon par rapport au français. Cette valorisation du wallon par rapport au français est une préoccupation souvent affirmée par les Ranteulîs : le lien privilégié avec l'orthographe française, postulé dans les conventions de Feller par exemple, est abandonné, les formes francisées sont remplacées par des formes jugées plus "authentiques", etc.

Il faut tout de même préciser que le rfondou walon n'a de sens que là où la communication exige une langue commune et non une variété locale du wallon, du picard, du lorrain, voire du champenois. Sa pertinence est plus manifeste dans les nouveaux domaines d'utilisation (enseignement de la pratique de la langue, échanges par Internet, etc.) que dans les communications plus classiques et plus locales.

Une analyse des positions et des tensions au sein des trois sociétés évoquées ci-dessus montre que les débats actuels illustrent, à bien des égards, une classique opposition entre anciens et modernes. Mais, face au souci unanimement affiché de voir le wallon promu et, si possible, pratiqué le plus longtemps possible, on ne peut que regretter les pertes d'énergie qu'entraînent des débats qui tournent souvent en dialogues de sourds. C'est ici qu'un quatrième organisme, le Conseil des Langues Régionales Endogènes, pourrait peut-être jouer le rôle de " médiateur " entre des interlocuteurs que des prises de position parfois extrêmes ont éloignés. Organisme officiel de la Communauté Wallonie-Bruxelles, le CLRE n'a pas pour mission première d'établir ce type de concertation : il joue un rôle consultatif auprès du ministre compétent. Mais la présence, dans ce conseil, d'acteurs appartenant aux organismes déjà cités justifie peut-être qu'il devienne un lieu privilégié d'échange, en raison de l'absence de toute autre structure de concertation.

Jusqu'à présent, le CLRE a été d'une prudence extrême sur les questions qui agitent les défenseurs du wallon. Non par désintérêt, mais sans doute parce que des opinions divergentes y ont cours, qu'il serait très difficile de dépasser. À cet égard, il sera intéressant de Suivre l'évolution d'un dossier qui a récemment été ouvert sur la pédagogie de l'enseignement des langues régionales et pour lequel le CLRE va tenter de produire un document de réflexion.

Au début du troisième millénaire, la question de l'avenir des langues régionales n'est certainement pas la plus cruciale, même au plan de la communication entre les humains: nous disposons de bien d'autres langues pour garantir les échanges au sein du " village global ". Il faut donc d'autres arguments pour justifier l'intérêt d'un wallon " langue (toujours) vivante ".

Si l'on estime qu'il y a là un objectif important à atteindre, il convient de se demander quel wallon pourra s'adapter aux exigences de la société contemporaine. Il nous parait évident que le wallon tel qu'il a été pratiqué par nos grands-parents n'est pas apte à remplir les fonctions de communication d'aujourd'hui.

Entre un wallon " testimonial ", patrimoine linguistique et culturel d'une région, et un wallon " sociétal ", moyen de communication adapté aux exigences de la communauté, un choix S'iMpoSe4. Parallèle à celui entre une Wallonie réduite au monolinguisme et une Wallonie multilingue, riche de sa multiculturalité. Le défi du rfondu wallon, s'inscrivant dans la seconde perspective, me paraît plus intéressant à relever.

NOTES

(1) Nicolas GÉRARD, La standardisation et l'enseignement des langues régionales romanes de Wallonie à la lumière de son institutionnalisation. Leuven : Katholieke Universiteit Leuven (mémoire de licence sous la direction du Prof. Pierre Swiggers), 2002.

Le texte de ce mémoire figure sur le site Internet de l'Union Culturelle Wallonne à l'adresse suivante: http://ucwalone.ibelgique.com/doc/stscolin.pdf. Il vient de valoir à son auteur le prix J. Van Crombrugge pour la culture wallonne (année 2001-2002).

L'auteur remercie le professeur Michel Francard pour la relecture d'une version antérieure de cet article.

(2) Voir, " Standardiser, moderniser, la juste mesure à garder Willy BAL

Dans Ecrire les langues d'oïl. Charleroi: micRomania-CROMBEL, 2002, p. 221-228.

(3) Voir Michel FRANCARD, " Note sur l'enseignement du wallon, de l'école à l'université ". Dans Enseigner la Wallonie et lEurope. Pour une éducation citoyenne (Luc COURTOIS & Jean PIROTTE éds). Louvain-la-Neuve -Fondation wallonne Pierre-Marie et Jean-François Humblet, 2001 [paru en 2002], p. 135-139.

(4) Voir Michel FRANCARD, Singuliers 4/2002, p. 20.


foû di: Singuliers, l° 04-13.


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