Sujets traités et sujets tabous en littérature wallonne,
particulièrement les évolutions récentes en prose.
par Lucyin Mahin.
dernière mise à jour - last update: 2004-09-26.
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Introduction.
Un des problèmes qui entrave - devrai-je dire " qui entravait " ? - la renaissance de la langue wallonne, c'est la restriction des sujets couverts par sa littérature.
Le chemin parcouru de 1899 à 1980.
Néanmoins, si on jette un regard en arrière, on ne peut que se féliciter du chemin parcouru sur ce point tout au cours du 20ème siècle. En effet, à la fin du 19ème siècle, l'écrit wallon restait confiné au domaine du burlesque. Si on compare les 4 pièces du "Théâtre Liégeois" de 1750, avec Tåti l' perikî, la pièce de Remouchamps, qui a relancé le théâtre en wallon à la fin du 19ème siècle, peu de choses ont changé en 1899, au niveau des sujets.
La langue, elle, s'est transformée sous l'influence des sociétés littéraires: on a supprimé les calques du français (opera burlesse) et on a recherché les expressions wallonnes typiques (si saetchî l' tiesse foû des strins; esse e minme pont... come l' acinsion), peut-être sous l'effet du "Dictionnaire des proverbes" de Dujardin. Mais nous parlons ici des sujets, pas de la langue.
Daniel Droixhe, analysant les thèmes se retrouvant dans Tåti l' Perikî, constate l'absence des revendications sociales sur la condition ouvrière. C'est pourtant le fait marquant du milieu populaire liégeois de la fin du 19ème siècle, dans laquelle devaient se recruter les spectateurs de Tåtî.
Pour " si saetchî l' tiesse foû des strins" (émerger économiquement), Tåtî n'envisage que la chance et, quand celle-ci ne lui réussit pas, il rentre dans le rang en retournant à sa condition première de coiffeur: alez s' ripinde l' essegne ! (allez remettre en place l'enseigne du salon de barbier, qu'il avait prématurément jeté åzès riketes en apprenant qu'il avait gagné le gros lot).
Voici une caractéristique toujours bien présente en littérature wallonne: l'aspect rangé, moralisateur, bien pensant. Pas de Baudelaire, ce dévergondé à tendances homo. Pas de Goethe, cet amoureux passionné jamais fixé. Pas même de Zola, dépeignant la misère ouvrière et exaltant la révolte.
Pourtant, les années folles - le début du 20ème siècle - vont voir arriver des écrivains wallons plus libertins. Et certains thèmes, qu'on ne retrouvera plus par la suite, vont occasionnellement apparaître, comme le cas de ce patron de restaurant de 45 ans qui fait des avances à une jeune domestique (Au bea payis d' Han, Adelin Lebrun, 1941).
Si on en juge par cette nouvelle, d'un point de vue technique, - revenons-y un instant - cette littérature du début du 20ème siècle est souvent une traduction en (mauvais) wallon d'un texte qu'on sent rédigé préalablement en français. Ce qui a fait dire à Emile Gilliard que seule la génération suivante, - que Laurent Hendschel va appeler la génération 48, car il s'agit d'auteurs ayant entre 25 et 35 ans en 1948, - va produire de la littérature wallonne digne de ce nom.
Avec les "seuls vrais écrivains de littérature wallonne", les styles s'élargissent. Du côté de la poésie, avec des auteurs comme Frans Dewandelaer, Jean Guillaume, Albert Maquet, Louis Remacle, Georges Smal et plus récemment Lucien Somme ou Victor Georges, on passe à des textes qui suggèrent plus qu'ils ne décrivent. Autrement dit, on passe du texte en rimes à la poésie pure.
Quant aux thèmes, on ne change guère: c'est toujours la nature, le rythme des saisons, les sentiments humains (l'amour, la réaction devant la mort, la reconnaissance filiale), les rujhes et les bouneurs des ptitès djins.
Exceptions toutefois: la révolte déclarée d'un Frans Dewandelaer contre les bourgeois. Et la suggestion quasi orientale de l'unité de la nature, des êtres et de la divinité - la métempsychose - par un Victor Georges.
Du côté des prosateurs, on pénètre plus profondément dans la psychologie et l'analyse du comportement des gens, que ce soit à Awenne avec les romans de Joseph Calozet ou en Carolorégie avec Henry Van Cutsem (Mamzele Chôze, 1950).
Ces récits en prose se passent dans le monde bien réel des villages. Souvent, quelques pages sont consacrées à la description de techniques anciennes, sortes d'ethnotextes insérés dans le récit: la fabrication du sirop de pomme (Pitit d' mon les matantes, 1929), la fenaison ou encore la fête de la fin des moissons (Li bracnî, 1920). Les personnages, de l'aveu même de Joseph Calozet, sont des gens ayant réellement existé. D'ailleurs, quand on l'interrogea pour savoir pourquoi il n'avait plus écrit après 1940, Joseph Calozet répondit: "J'ai épuisé tous les caractères d'Awenne: je n'ai plus rien a (d)écrire."
Soit dit en passant, l'insertion d'ethnotextes dans les récits wallons a continué après Calozet. Ainsi, les techniques du brassages de la bière dans "Li djoû k' i plourè des pupes di tere" (1992) de Jean-Luc Fauconnier, ou la description d'une étable di bounès biesses dans "Li ptite comere avou l' blanke camizole" (1989) de Lucien Mahin.
Les personnages des nouvelles classiques attirent souvent la compassion: ils ont été marqués par le destin, notamment par un défaut physique comme Pitit (Calozet: Pitit d' mon les matantes) ou son homologue a Dorine, Li ptit Bert (Auguste Laloux, 1969), et vont mourir à la fin du récit.
Car ces nouvelles sont écrites en style linéaire: on commence à la naissance du personnage et on finit à sa mort (Mamzele Chôze, Pitit d' mon les matantes, li ptit Bert).
Les autres personnages sont souvent imprégnés de sentiments très nobles, tel Amand (E payis des shabotîs, 1933) qui s'efface devant son ami pour lui laisser la fille de son cœur. Exceptionnellement, dans "Li crawieuse agaesse" (1937), on trouve un personnage central haïssable... mais qui va revenir à de bons sentiments à la fin
Génération 48: le revers de la médaille.
Avec la " génération 48 ", et sous la férule de Maurice Piron, la littérature wallonne acquiert donc ses lettres de noblesse. Elle se veut esthétique et universelle. Elle a banni toutes les expressions grossières, jurons et insanités qui étaient presque une obligation dans les textes du 18ème-19ème siècle. Voyez à ce propos Paskeye novele d' ene djonne marieye et d' on pôve må-maryî, une "pasquille" de 1750 racontant le mariage d'un jeune amoureux avec une fille qui lui a dissimulé une grossesse de huit mois.
Remarquons en passant que la proto-littérature française, de type Gargantua et Pantagruel de Rabelais, était elle aussi pleine de ce genre de détails scatologiques.
Mais, revers de la médaille, la littérature wallonne "nouvelle éthique" ne peut mettre en scène que des personnages B.C.B.G.: pas de prostituée, pas de relations extra-conjugales, pas d'homosexuels ou de pédophiles. C'est la famille unie, qui s'est formée entre deux jeunes de milieux modestes wallonophones, qui respectent leurs vîs parints, qui vont avoir beaucoup d'enfants, arnåjhes certes, mais qu'ils éduquent dans les valeurs chrétiennes. Les personnages des récits wallons seront également de bons soldats ou de fiers résistants pendant les deux guerres. On ne mettra pas en scène des collabos, des traîtres, des cis k' åyénxhe fwait avou ls Almands.
Conséquence de la création de personnages stéréotypés: pas de non-Wallons dans les récits, sauf peut-être quelques Flamands intégrés. Détail technique non négligeable: quand un personnage d'une classe sociale plus élevée s'exprime, il le fait en français dans le texte. Comme, souvent, les instituteurs (dans Fleuru dins m' vicåreye de Henri Pétrez, 1960), ou même les enfants quand ils parlent à ce même "instit" (Kegn 42, Ben Genaux, 1942).
Un récit réaliste, donc avec des personnages romantiques, tirés uniquement du milieu wallonophone. Récit, come di djusse, écrit selon les canons de l'idéologie dialectologique de la génération '48: en notant les moindres détails de l'accent d'une langue supposée pure, parlée dans le "village de naissance" du prosateur, et dont il est lui-même "locuteur natif".
D'où la tentation des écrivains et des continuateurs de la génération '48 de condamner à mort la littérature wallonne quand ces personnages et ce cadre stéréotypés disparurent par le fait de l'évolution socio-économique ayant suivi les "Golden Sixties". Le wallon (et donc ses belès letes) a été condamné à mort avec l'arrivée du tracteur dans les champs (J.J. Gaziaux). Rappelez-vous aussi comment Calozet avait motivé sa défection comme écrivain en fin de carrière.
Des critiques comme Emile Gilliard ajoutent aux justificatifs de l'arrêt de mort le fait que, les jeunes auteurs ne possédant pas une langue suffisamment "pure", ils ne peuvent donc pas écrire quelque chose de correct, come nozôtes, sapinse zels.
1980-2000: des noveas scrijheus(es), nén pus biesses k' els ôtes.
Or ces jeunes auteurs, arrivés "sur le marché" à partir des années 80, ont secoué le cocotier des habitudes ancrées dans le petit monde de la littérature wallonne (li landernau åreut yeu-t i dit nosse bon mådjuster Albert Maquet).
Première constatation: plusieurs auteurs qui ont commencé à écrire après 1980 ont su se reconstruire un niveau correct de connaissance de la langue, bien qu'ils (elles) n'aient pas entendu parler wallon autant que leurs aînés. Guy Fontaine (Vos et mi, come hasse et roy), Jean-Marie Warnier (Li scret da Hayna), Laurent Hendschel (Fåviretes di houte did ci; So l' anuti, Ridaedjes), Jean-François Brackman (Racrapotaedjes), Bernard Louis (Tot fjhant betchî l' cok), Chantal Denis (Ene måjhone sins finiesse, On byin bråve ome, l' ouxh å lådje), David André (D' oraedje en airdiè), Yves Paquet ("Ya basta" et vos nd åroz), Lucien Mahin (Li ptite comere avou l' blanke camizole, Li batreye des cwate vints), Danielle Trempont (Ene miye di mi), Guillaume Smal (Sondje d' ene nute d' esté), ou encore Stéphane Quertinmont, Raphaël Zander, Pierre Otjaques, Dominique Heymans, Nadine Modolo, Jacqueline Boitte... maîtrisent la langue beaucoup plus qu'on ne s'y attendait.
Sur certains points techniques, je dirai même peut-être " mieux que les classiques ", car ils (elles) systématisent les traits (grammaticaux et lexicaux) typiquement wallons, au lieu de faire confiance à la langue telle que la pratiquent les "témoins", et qui se francise partout depuis plus de 150 ans. Un petit test ? Comparez " Leyon Cranasse, tchampete pa amour " (Félicien Barry, 1942) avec "Ene måjhone sins finiesse" (Chantal Denis, 2002).
Première faille par rapport aux canons de l'époque précédente: on quitte le monde du réalisme. Pourtant, "Li ptite comere avou l' blanke camizole" commence dans le monde réel : rencontre avec une jeune fille sur les routes d'Ardenne, puis une entrevue avec ses parents fermiers. Mais la jeune fille est morte depuis longtemps. L'épilogue, une visite au cimetière où on retrouve li blanke camizole racafougneye sur la tombe de Nowèle, extrait définitivement le lecteur de ce monde réel où il croyait se trouver.
C'est le même basculement qui s'opère dans "Sondje d' ene nute d' esté" (Guillaume Smal, 2002), où le narrateur-héros, lors d'une promenade nocturne après une journée étouffante d'août 2001, rencontre le châtelain d'Indji et sa famille, théoriquement massacrés lors d'une expédition de leurs ennemis hutois en 1650.
Même ambiance dans les "Racrapotaedjes" de Jean-François Brackman où on pénètre dans un monde subissant des malédictions d'une force supérieure (Li tiene al Brijhe; les papîs da Djhan Chleyder); ou dans "L' aiwe d' Ourdoug Nour" (L. Hendschel), qui ressemble à un cauchemar; ou encore dans "El muroe eschårdé " (Jacqueline Boitte) où le héros rencontre son double.
Dans "Li scret da Hayna" qui se passe au Moyen-âge, "Les fåviretes di houte did ci" (ki n' sont nén did ci, comme leur nom l'indique, et "El djoû ki va vni" (Monique Dessaussois), "Li rodje dame" (Jean-Denis Boussart), ou encore "Rodje Orandje" ou "Emacralaedje" (André Gauditiaubois), nous nageons en plein surréalisme, dans un monde qui, manifestement, n'existe pas.
Notons que nous venons de parler de nouvelles (Li rodje dame, les fåviretes, Sondje d' ene nute d' esté), de théâtre (Li scret da Hayna, El djoû ki va vni), et de poésie dite sur un fond musical (Rodje Orandje, Emacralaedje).
Ce monde fantastique est soit accueillant (El djoû ki va vni), soit hostile (Racrapotaedje), ou franchement horrible (Prumire eurêye, une des fåviretes di houte did ci).
Quant à " Vos et mi, come hasse et roy ", une œuvre originale de Paul Biron, traduite par Guy Fontaine, elle n'a rien à envier au " Grand Meaulne " d'Alain Fournier, ou au " Petit Prince de Saint-Exupéry ".
A propos, ce dernier " roman " a fait l'objet récemment de deux traductions indépendantes, une de Jean-Paul Grandmont, qui pèche par les défauts classiques des débutants, et une, tout à fait " top-niveau " de Laurent Hendschel.
Notons que, chez certains auteurs moins audacieux, les récits fantastiques se passant apparemment dans un monde irréel redeviennent rationnels, via la technique classique du réveil du héros en fin de récit. Le fantastique n'était qu'un rêve dans Mimile-ås-zines (Willy Bal, 1956), ou un état pré-comateux dans Penêye li rôbaleu (Joseph Lahaye, 1999).
Quant à Pitchete, la héroïne de "Li måjhone do djårdinî" (André Gauditiaubois, 2002), son rêve psychédélique, tout à fait surréaliste, pourrait s'expliquer rationnellement par la prise de L.S.D., ou d'un autre produit des tchenvires.
Remarquons pour terminer que nous n'aurions pas dû citer Jean-Denis Boussart et Willy Bal dans cette série, car ils ont commencé à écrire bien avant 1980. Mais ce qui est fait est fait.
On sort du cadre spatio-temporel wallon.
Deuxième atteinte aux canons classiques: l'action peut se passer en dehors du cadre spatio-temporel imposé traditionnellement, celui d'un petit village de Wallonie, ou de la ville de Liège tels qu'ils étaient entre 1900 et 1960.
Est-ce à dire que les écrivains wallons des époques précédentes ne connaissaient pas assez intimement des pays étrangers, pour pouvoir y localiser leur action ?
Non, Henry Colette revient du Congo mais écrit de la poésie en wallon sur la campagne de Malmedy. Léon Bernus réside en Angleterre, puis dans le Sud de la France, mais décrit non pas le business londonien dans l'industrie du verre ou la dolce farniente de la Côte d'Azur du 19ème siècle, mais les inondations de Charleroi de 1850, qu'il a vécues pendant son enfance. Gaston Lucy, qui a travaillé au Congo, y a rassemblé une série de légendes locales qu'on lui a raconté en kiswahili. Dans ses "Œuvres complètes", ces légendes sont retranscrites en français, au milieu de textes en wallon sur les contes et légendes d'Ardenne.
Les récits en wallon se passant en dehors du cadre de la Wallonie traditionelle - et du monde fantastique - étaient tellement rares en 1997 que je leur avais réservé un directoire spécial dans ma classification des écrits wallons sur mon premier site Internet.
Parmi les rares textes qui y trouvèrent place, ceux de l'abbé Joseph Pirot, emigré au Canada au début du siècle. Il décrit en wallon, sous l'acronyme de "Porti" ses aventures dans la steppe glacée de la Saskatchewane. Mais cette prose de Pirot était restée inédite, alors que ses "Fåves di nosse viye mere" avaient trouvé facilement acquéreur. Jusqu' à ce que Lucien Léonard, vers 1970, ne décide de la sortir de l'oubli sous le titre "Un littérateur wallon du Canada: l'abbé J.J. Pirlot".
Egalement à épingler : le recueil de poèmes " Congo " de Marcelle Martin, publié en 1957, déjà. A ma connaissance, le premier écrit littéraire wallon " extra-territorial " publié par son auteur.
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Une première originalité de la période actuelle va être de traduire des œuvres situées hors de ce cadre spatio-temporel dont les anciens s'étaient si peu éloignés.
Dans Aline (traduction du même titre de Ramuz par Willy Bal), l'action se passe dans le milieu provençal. Mais elle est retransposable, de l'aveu même du préfacier Albert Maquet, dans la vallée de l'Eau d'Eure, et - je le cite - on a tout lieu de s'en réjouir. Notons que le manuscrit date de 1934; la nouveauté est qu'il devient publiable en 1998.
Mieux localisée dans la garrigue, avec ses incendies de forêt, et cette fois, sans volonté de "rapatrier" le récit, voici "So les tienes", traduction de Gionno par Emile Gilliard. Le livre est tiré à 1000 exemplaires en 1980 (ce qui est un record, dans la publication moderne en wallon), et vient de faire l'objet d'une réédition remaniée en 2004.
Sur sa lancée de "Aline", et débarrassé cette fois des contraintes de cadre wallon, Willy Bal va publier en 1996 "Warum Krieg" (Pocwè fé l' guere ?, avec le nom allemand comme titre). Il s'agit d'un souvenir de guerre: un soldat allemand meurt dans les bras du secouriste Willy Bal. Néanmoins l'approche - tout comme le titre - est non conventionnelle. En effet, pour la première fois, l'armée allemande n'est pas diabolisée. Willy Bal récidive avec "Djonnesse a målvåt" (2001), qui reprend "Warum Krieg" et le complète par des autres souvenirs de captivité. On y voit à nouveau des Allemands à visage humain. Par contre, certains soldats belges, dans la période d'occupation de l'Allemagne par les Alliés qui suivit la guerre, sont dépeints avec des comportements qu'on vient de retrouver chez les geôliers américains d'Aboughrayb.
Rén d' novea dizo l' solea !
Mais revenons au thème du cadre spatio-temporel.
Dans Contes d' on payi d' ôte på, Jeanne Houbart-Houge place son action en Pologne. "Vè l' anuti" se passe en 1550. "On vî fuzik èruni" (E. Gilliard) se passe a Prague. Certaines fåves da Fernand (Maurice Georges) se passent en Allemagne ou en Israël. Les récits de "Al croejhete" (L. Mahin) se passent au Maroc, et plusieurs petites nouvelles et poésies du même auteur ont pour cadre les évènements sanglants d'Algérie (Scrijhaedjes sol disdut e l' Aldjereye (1992-1999)
Dans cette période 1980-2004, il y eu beaucoup d'autres récits "hors-sol". Dans "Contes d' on payis d' ôte pårt" (1980), Jeanne Houbart-Houge place son action en Pologne. "So l' anuti" (inédit, 1996) se déroule en Autriche et en Turquie vers les années 1550. "On vî fuzik eruni" (Emile Gilliard, 1997) se passe a Prague. Certaines Fåves da Fernand (Maurice Georges, 1989) se passent en Allemagne ou en Israël. Jean-Pierre Dumont place plusieurs de ses héros en Hongrie (Zoly est moirt, Pate di Robete, inédits, 2002). Yves Paquet, dans ses billets d'humeur ("Ya basta" et vos nd åroz, 2000), parle souvent de l'Amérique latine. Danielle Trempont, timidement dans " D' ombe et d' solea " et clairement dans " Ene venêye di djacaranda " (un des textes de " Ene miye di mi ") nous place dans la peau d'une femme congolaise. Dominique Heymans raconte le voyage d'un pigeon de Barcelone à Houdeng-Goegnies (Bårçulone djenerå), où les tribulations d'un routard sur les routes d'Amérique latine (L' otocår Puño-La Paz).
Du côté des poètes, citons Robert Mayence qui nous a légué un beau poème d' ambiance africain: "Essôrçulantès niûts d' Afrike" (Scrire, 1992).
Mais l'auteur qui s'est manifestement " délocalisé " le plus, c'est Lucien Mahin. Les sept récits de la série "Al croejhete", ainsi que les nouvelles " Li broûleu " et " Co ene, gårçon " se passent tous au Maroc. " Cour di mame a vinde, Itto Oukemmou (deux nouvelles) et Grandès waraxhreyes mon des ptitès djins " (poésie) ont pour cadre les évènements sanglants d'Algérie. " Li batreye des cwate vints " tourne autour du génocide de 1994 au Rwanda, et les personnages de " Vera " évoluent dans la Crimée post-soviétique.
Epinglons également un récit qui se passe dans le monde intersidéral, la planète X005. Il s'agit de "Ene amitieuse pitite biesse" de Jean-François Brackman, la seule nouvelle de science-fiction en wallon, à ce jour et à ma connaissance.
Notez qu'on attend toujours des nouvelles se passant tout simplement en Flandre, au Luxembourg ou... à Bruxelles, en dehors du monde des résidents wallons, s'entend.
Gestion des dialogues des non-Wallons ou non-wallonophones.
Mais, si on accepte ces "délocalisations", on risque de rencontrer des Tchèques, des Mongols, des Marocains, des Rwandais qui vont devoir s'exprimer en wallon. Ceci est inhabituel pour les tenants de la littérature classique. En effet, depuis les Noëls wallons du 16ème siècle, où les bergers s'expriment en wallon et les anges en français, le dialogue en wallon est réservé aux personnages issus du cadre socio-géographique typiquement wallon.
On a oublié que, dans le monde où sont supposés se passer les westerns, les indiens et les cowboys ne parlaient sûrement pas français. Or, ils le font au ciné, et personne ne s'en émeut. (Curieusement, comme le fait remarquer humoristiquement Marcel Slangen, à la télévision allemande, les Indiens et les cowboys parlent allemand). Mais ce qui est acceptable pour la "langue de culture" ne l'est pas pour le "dialecte".
Dès lors, l'auteur en wallon se trouve devant un dilemme: va-t-il faire s'exprimer dans la langue de Defrecheux des personnages qui ne parlent pas wallon dans la réalité.
Le problème a d' abord été posé pour le théâtre en wallon, beaucoup plus productif - et créatif - que la littérature narrative classique, dans la période 1980-2000. La question était celle-ci: un médecin qui ne parle pas wallon dans la réalité de la Wallonie 1990, doit-il s'exprimer en wallon au théâtre?
Je crois qu'une des contributions la plus importante de la "collection Somme-Denis", qui consacre l'individualisation d'une prose narrative 21ème siècle, aura été de répondre à cette question. Par "oui". Et apparemment avec la bénédiction des "cénacles bien-pensants" du wallon, puisque ces deux auteurs ont collectionné les prix pour des œuvres où la wallonophonie des personnages n'est pas "naturelle".
En effet fonctionnaires (L' ouxh å lådje), journalistes (On byin bråve ome), médecin (Ch@rlote.com) ou autre libraire ou tenancière de boutique de mode (Tereze) qui parlent wallon dans les romans de Lucien Somme et Chantal Denis ne correspondent manifestement pas au profil du "wallonophone 2004".
Des lors, le pas est franchi. Il y aura une littérature wallonne au 21ème siècle, même si les personnages qui sont dépeints dans les récits parlent dans la réalité une autre langue.
Cette langue peut être le français: tels les dialogues dans la "série Somme-Denis", ou les conversations entre le Wallon André et la Hongroise Zita, professeur de français, dans "Zoly est moirt" (J.P. Dumont).
Mais ce n' est pas nécessairement le français.
On peut supposer que c'était l'occitan dans "So les tienes" (E. Gilliard). Mais Giono avait déjà retransposé les dialogues en français.
Par contre, la langue de la conversation entre le journaliste Stéphane Evrard et le vieux chef Toutsi Gervais Boussoumé dans "Li batreye des cwate vints" (L. Mahin) - c'est dit textuellement - est le kiniarwanda, que Stéphane tient àutiliser par respect pour son hôte.
Quant aux personnages de "Vera", dans leur Crimée profonde, ils parlent soit russe, soit ukrainien, soit tatar. Et dans les nouvelles marocaines et algériennes (toujours de Lucien Mahin). les héros dialoguent certainement en arabe.
Toutefois, même pendant la période considérée (1980-2004), certains auteurs hésitent à utiliser le procédé. Ainsi, dans "Warum Krieg", Willy Bal reproduit les paroles dans la langue de chaque intervenant: wallon pour le narrateur, français pour la hiérarchie militaire belge, allemand pour les soldats du 3ème Reich. Même gestion des langues par Pol Bossart dans "Inte li cir et l' infier": la catresse Magrite et sa famille parlent wallon, mais le responsable de la maison de repos leur répond en français.
Intégration de la vie moderne dans les écrits récents en wallon.
Comme la géographie et la langue des héros, la transformation du cadre de vie de l'individu moyen a aussi eu du mal à se répercuter dans l'écrit en wallon.
Avant 2000, aucun récit ne mettait en scène, par exemple, des fonctionnaires dans un bureau, des policiers d'une cellule criminelle, des jeunes en tain de draguer dans une boite de nuit, des terroristes en train de préparer un attentat. Toute une série de sujets qui couvrent des pages et des pages de livres dans d'autres langues.
J'ai bien dit : avant 2000, car la série de romans de Lucien Somme et Chantal Denis (" On djoû nûlêye, on djoû solea ", 2001, " Ene måjhone sins finiesses ", 2001, " Tereze ", 2002, " On byin bråve ome ", 2002, " Ch@rlote.com ", 2003, " L' ouxh å lådje ", 2003, " Li dierin des catîs ", 2004, " Dji vôreu k' i ploureut ", 2004) nous plonge la tête en avant dans la société wallonne du 21ème siècle. On y rencontre un fonctionnaire du fisc (L' ouxh å lådje), un journaliste et un politicien véreux (On byin bråve ome), une femme divorcée et un homme d' affaire aristocrate (Tereze), un criminel et une infirmière (Ene måjhone sins finiesse), une adolescente droguée (Ch@rlote.com), un pensionnaire de maison de vieux (Li dierin des catîs). Dans ce monde, les gens vont au restaurant, ont des téléphones portables, subissent toutes sortes d'analyses et d'opérations dans les hôpitaux, participent à des marches ADEPS, roulent à vélo sur les RAVEL, sont témoins de sévices sexuels sur des enfants (On djoû nûlêye, on djoû solea), font des commentaires sur la politique américaine en Irak (Ch@rlote.com).
Il est vrai que le mouvement avait déjà été timidement enclenché entre 1980 et 2000. Dans " Riwaitîz mu dins les ouys ", Jean-François Brackman faisait habiter son héros dans un HLM. C'est aussi dans un immeuble que se passe " Sadi Hozete ", la première pièce en wallon à un seul acteur, signée Albert Maquet.
Par ailleurs, le monde médical avait déjà constitué le cadre de certaines pièces de théâtre. Li cene k' a rawårdé. (Guy Belleflamme), ou "Adriyin" (Michel Robert), la première œuvre littéraire en wallon qui parle du sida.
Avant les G.S.M. - k' on s' dimande kimint k' on fjheut dvant, cwand on-z esteut sins (Ene måjhone sins finiesse), ki vos ploz houkî les djindårs avou, cwand vs estoz " bratchî " pa des calins (Tereze), mins ki vos fwaiynut bouter minme si vos estoz a vs ripoizer, tote seule di djin e fén mitan des bwès (L' ouxh å lådje) -, les nouvelles technologies avaient déjà pénétré timidement l'écrit en wallon. Dans " On cokea å solea ", une BD de Jean Goffart, le héros est engagé pour fonder une chaîne de radio dans les Emirats Arabes Unis, un pays apparemment très sympathique, mais c'était avant l'arrivée de Bush e mitan do djeu d' gueyes.
Monter une radio, c'est aussi la tâche du héros de " Li batreye des cwate vints ", mais au Rwanda, cette fois.
Dans " On byin bråve ome ", le journaliste trouve des infos capitales pour son enquête en forçant les mots de passe sur l' "ordi" de son collègue hospitalisé.
Dans "Ch@rlote.com", la messagerie électronique de l' éndjole (avec l'adresse de contact "Ch@rlote.com") est la pièce maîtresse de l'intrigue.
Quant au personnage d'une nouvelle de Guy Brenner dont le titre m'échappe, il " chatte " avec une jeune Québécoise, jusqu'à en devenir roed bleu sot.
Cette relation amoureuse entre un vieux monsieur de plus de 60 ans et ene djonnete di 17 ans frise l'indécence. Et pourtant le thème semble porteur, puisqu'il a été repris par Joseph Selvais, avec une jeune " facteur ", cette fois (encore un titre que j'ai oublié).
Mais les deux amours restent platoniques. Dans l'état actuel de la technologie, ni les spermatozoïdes ni la sensation d'orgasme ne peuvent encore voyager so les fyis. Et la petite factoresse de J. Selvais était juste en job de vacances, et elle avait déjà un copain ! ! !
En citant ces deux cas, nous voulions nous aménager une transition pour parler d'un autre tabou qui est en train de sauter dans les textes wallons d'après 2000. On ose y parler de sexe, même en dehors du mariage.
Dans " Trop tchôd " (chanté par William Dunker sur des paroles d'André Gauditiaubois), l'amour physique a pour cadre une torride journée d'été ; et èm pitit colon a l'air d'être la partenaire attitrée du narrateur. Mais la néo-prose wallonophone ne fait pas toujours dans la dentelle a môde di Barbara Cartland. C'est parfois d'une façon brusque et fruste, dans l'herbe d'une prairie, que le dépucelage d'une adolescente a lieu. C'est dans " Dji rvén cåzu del Mongoleye ", de " Lorint " Hendschel, qui remet ça dans " So l' anuti ". Dans " Waeraxhe tins " (L. Mahin), le héros arrive à l'orgasme suite à l'apparition, dans une tenue érotique, (de l'image ?) d'une ancienne collègue infirmière à M.S.F., qu'il avait connue en Tchétchénie.
Néanmoins, dans les trois cas, les actes sexuels sont suggérés, non décrits. Même technique de non-dit dans la " collection " Somme-Denis. Pour dire que Tereze se donne pour la première fois a celui qui sera, enfin, l'homme de sa vie, le romancier écrit à peu près ceci: Li bolero d' Raven lyi rzûnéve dins les orayes, aprume londjin, adonpwis pus spitant, pus fer. Suggestions également dans " Calipso ", une série de 10 poèmes sur des femmes perfides et fatales, et c'est signé Albert Maquet (2001).
Pas question de toutes ces précautions pour Jean-Pierre Dumont. Dès sa première nouvelle, " Mignolet ", il annonçait la couleur. Plus de trois fois dans l'histoire, le héros se retrouve au lit avec son hôtesse (il est mendiant ambulant), et ses doet lyi prustixhèt l' tchå, si boke lyi spotche li sinne. Dans " Nanete ", un représentant de commerce, amant habile, l' atake pa padzo avou s' boke ; ele ni saveut ddja k' on pleut aveur si bon insi. Et tout ça dans leur voiture, à l'ombre d'un bosquet.
Ces mêmes relations bucco-génitales font l'objet d'une condamnation judiciaire à l'entrée du roman "Vera" (Lucien Mahin). Mais la suite de ce roman-fleuve, genre feuilleton égyptien ou brésilien, est jusqu'à présent, beaucoup plus "soft". Je dis "jusqu'à présent", parce que l'ouvrage, publié par épisode sur Internet, n' est pas encore terminé.
Restons dans les perversités.
L'affaire Dutroux a fait couler beaucoup d'encre (en français) et a remis sous le feu de l'actualité certaines déviations sexuelles vieilles comme le monde. En wallon, l'affaire Dutroux a inspiré certaines poèmes de toute beauté (Roger Viroux, Jacqueline Boitte, René Brialmont), qui fustigent de pareils comportements. Mais elle a aussi rapplé aux auteurs en wallon des cas anciens, impunis, d'abus sexuels sur des enfants. Ainsi, dans " Li Bon Diu eburtake voltî ses voyes ", José Schoovaerts tisse son récit autour d'un personnage pervers. Il s'agit d'un ecclésiastique qui a couvert des pratiques pédophiliques dans un internat catholique, et qui couche avec la femme de son ami, ancien curé défroqué.
José Schoovaerts est aussi l'auteur de nombreuses nouvelles érotiques : Li perlinaedje da Tchofile, Li botchresse d' åd dilong d' Sambe, etc. Dans ce dernier récit, un jeune apprenti boucher est initié au sexe par la femme de son patron qu'il surprend à se masturber.
Au Rwanda, cette éducation sexuelle se pratique traditionnellement chez la jeune fille pubère par des attouchements conduisant à l'orgasme, effectués "officiellement" par une servante qui est aussi sage-femme. C'est du moins ce qu'on apprend, entre les lignes, dans "Li batreye des cwate vints".
Il faut faire remarquer que le thème des relations physiques "interdites" avait dejà été évoqué par Auguste Laloux, dans roman laissé inachevé "Pa totès stroetès voyes". Laloux a d'ailleurs été un grand précurseur sur d'autres points que nous analysons peu ici, comme la technique de narration, par exemple les fausses conversations entre le narrateur et ses personnages.
Revenons un instant à "Li Bon Diu eburtake voltî ses voyes ". Cette nouvelle a une autre particularité. On quitte le style linéaire des récits classiques, pour une construction plus variée. Dans ce cas, il s'agit de deux tableaux où une tierce personne, différente dans chaque cas, parle du personnage principal, qu'on ne décrira donc pas à la manière du narrateur, et qu'on ne fera pas parler.
On avait déjà remarqué cette non-linéarité (qui contraste avec les romans de Calozet, Van Cutsem, Barry et autres) dans d'autres récits de la période 1980-2000. Ainsi, dans "Dji rvén cåzu del Mongoleye", le héros, attablé au comptoir d'un bistrot, raconte son histoire entre les commandes de bière, pour lesquelles on revient nécessairement au présent.
Même technique de flash-back dans "Zoly est moirt". Le personnage principal se remémore son histoire d'amour avec sa maîtresse hongroise sur la route qui le mène à Budapest, le jour même où elle lui a annoncé que son mari - Zoly, dabôrd -, ebén, kel Zoly esteut moirt.
Egalement dans "Li neyeye d' Alouchta", le troisième épisode de "Vera", où l'héroïne s'enfonce dans la mer pour se suicider, et, entre chaque grosse vague, repasse une partie de sa vie.
Le "flash-back" est également un outil de travail pour Chantal Denis. Tout au long de la première partie de "Ene måjhone sins finiesse", le héros, purgeant une peine de prison (on ne sait toujours pas pourquoi), revoit son parcours, au milieu de scènes de son existence actuelle de prisonnier. De même dans "Les djoûs racourtixhnut" (Emile Gilliard), où li dierinne beguene di Goyet passe en revue son existence qui se termine si lamentablement, au milieu des travaux quotidiens de son couvent dépeuplé, et où s'insinue le doute sur le bien-fondé de sa vocation.
Autre technique dissociative: c' est dans "C' est todi l' aiwe ki doime ki neye (inédit, Lucien Mahin). Le récit principal tourne autour de la noyade mystérieuse, le corps déchiqueté, d'un petit garçon, que les gens attribuent par l'intervention du "Pépé Crotchet" (l' Ome å havet)". La nouvelle date de 1985, et est supposée se passer en 1905. Dans l'épilogue, on est projeté dans l'avenir, en 2005. On voit alors une étudiante effectuer des recherches scientifiques qui pourraient expliquer cette mort.
Même technique de projection dans le futur en fin de nouvelle dans " Li tiene al brijhe " et "Les papîs da Djhan Chleyder" (Jean-François Brackman). La malédiction prévue dans le corps des deux récits est bien en train de se réaliser.
Mais le maître actuel des récits non linéaires est sans conteste Jean-Pierre Dumont. Ainsi, dans "Li dierin des Carayibes", deux récits s'interpénètrent: celui de Huaco, un indien Caraïbe du temps de la découverte de l'Amérique, et Aimé Durieux, petit fonctionnaire contemporain qui se passionne de contacts avec les extra-terrestres, un jour où un OVNI est justement annoncé.
Le suspens aussi commence à devenir une donnée mieux maîtrisée par les prosateurs en langue wallonne.
Ainsi, dans " Nosse gamén " (Joseph Lahaye, 2003), le propriétaire d'une maison à vendre sert à boire à l'acheteur avec qui il vient de conclure la transaction. Mais celui-ci n'a pas l'air bien. On apprend bientôt qu'il y a des champignons vnéneux dans l'alcool servi. Ce n'est qu'aux dernières lignes qu'on comprend les pondants et les djondants.
Dans "Ch@rlote.com", on ne sait pratiquement rien sur le personnage central (Charlotte), qu'on n'a rencontré que sur un seul paragraphe, au début du roman, après l'enterrement de son frère. Et le récit se termine alors qu'elle est derrière la porte, et va entrer.
Dans "Ene måjhone sins finiesse", on ne sait pas pourquoi le héros est en prison pendant plus de 60 pages.
Dans "On byin bråve ome", le premier roman policier en wallon,qle coupable de meurtres en série ne sera démasqué qu'aux toute dernières pages. Dommage que, dès le titre, le lecteur sûti avait déjà la puce à l'oreille.
Le roman "Li batreye des cwate vints" est bâti selon la technique des "trous". Des questions sont soulevées, comme les détails sur la relation entre le héros et Bernadette, la fille du chef Toutsi; ou encore l'intérêt des médecines traditionnelles africaines dans le le traitement du sida, etc. Mais aucune réponse n'est donnée, car au chapitre suivant, on retrouve le personnage dans un nouveau contexte, plusieurs années après. Le roman s' achève également sur une inconnue: de quelle nature est la relation qui unit les deux femes ki Stefane a djourmåy veyou voltî et ki s' etindèt come deus lives e l' avoenne ?
Chantal Denis, elle aussi, laisse le lecteur forger sa fin dans "L' ouxh å lådje", come le titre le dit. Y avait-il une relation adultérine entre l'ami et la femme du personnage central, qui font un accident et se retrouvent dans le coma, sans pouvoir nous dire ce qui s'est réellement passé entre eux.
Jean-Pierre Dumont utilise également la technique du "livre non terminé". Ainsi dans "Li dierin des Carayibes", Aimé Durieux entre dans la soucoupe volante, confiant. Mais que se passe-t-il après ? Et quel est le rapport avec l'autre personnage, Huacos, le dernier Indien Caraïbe, dont le récit de la vie s'entremêle avec l'aventure d'Aimé Durieux ?
Par contre, Lucien Somme reste fidèle au " happy end ", bien explicite (On djoû nûlêyes), ou fortement suggéré (Tereze, Ch@rlote.com).
Il ne faut pas se faire d'illusions: la publication de ces écrits wallons modernistes n'est pas toujours aisée dans les revues des associations littéraires classiques. Ni auprès des éditeurs subsidiés par les deniers publics, dont ils gèrent eux-mêmes la distribution.
Les textes ne répondant pas aux canons moraux classiques et les récits sa passant hors Wallonie sont les plus difficiles à placer.
Les mêmes difficultés existent également au niveau des jurys des prix littéraires. Les mêmes jurés, affiliés sans réserve a l'idéologie dominante, dirigent les débats aux quatre coins de la Wallonie. Conséquence: la consécration d'œuvres, peut-être admirables d'un point de vue littéraire, mais passéistes au possible au niveau des sujets, comme le recueil de textes de Maggy Frisée (Prix biennal de la ville de Liège, 2003), ou celui de Renée Cavrenne (prix du Coirneu 2003).
Dans ces jurys, tout ce qui est un tant soit peu hors-normes, risque de ne pas "passer les passetes". De devenir "des raboulets". D'où l'officialisation de la démarche par José Schoovaerts par le titre de sa revue électronique "Rabulets". Mins k' end ass, des raboulets insi !
Car - bénédiction ! (Li Bon Diu n' avoye jamwais l' fa sins l' sorfa) -, il y a eu dans le même temps l'arrivée d'Internet. C'est est une aubaine que les ravicantisses n'ont pas manqué de saisir.
Les textes censurés d'autre part peuvent être facilement diffusés sur les waibes en wallon. Sur la Toile, en outre, la notion de longueur est beaucoup moins contraignante que sur papier. De plus, chaque waiburlin peut travailler avec ses normes orthographiques.
En effet, l'utilisation de graphies condamnées par une société littéraire donnée (comme par exemple l'orthographe unifiée du rfondou walon) peut provoquer des réactions viscérales de rejet. Cette attitude entraîne le banissement définitif des cis ki n' djouwèt nén sol minme violon.
Internet, justement, permet de court-circuiter les querelles orthographiques. L'extensibilité à souhait de l'espace d'impression électronique autorise la publication de plusieurs versions à la fois, pour satisfaire à la fois l'éditeur et l'auteur. Par exemple, certaines nouvelles de Jean-Pierre Dumont, de Joseph Lahaye, ou de Jean-François Brackman sont disponibles à la fois en orthographe unifiée, et selon la graphie originale de l'auteur, notant l'accent de Huy, de Fraipont, ou de Fumay, respectivement. De nombreux textes sont aussi publiés sur l' "Aberteke" en version pré-normalisée (uniformisation de règles de transcription, mais maintien de certains traits régiolectaux), et sous forme normalisée.
En fait, les waloneus non-utilisateurs du Web ignorent de nombreux titres cités dans cette étude, en particulier les nouvelles. En effet, plusieurs d'entre elles sont uniquement disponibles sur Internet. On les trouve principalement sur le site de "l' Aberteke" (prose de Lucien Mahin, de Jean-Pierre Dumont, de Joseph Lahaye ou encore de Jean-François Brackman). Mais également dans les archives de la revue électronique "Rabulets" (textes de José Schoovaerts, et même de Guy Brenner), voire sur le site de la S.L.L.W. (pièce de théâtre "Li cene k' a rawårdé" de Guy Belleflamme).
Achever sur une note d'espoir.
Nous avons parlé plus haut d'un certain ostracisme de l'establishment qui gère les "affaires de la langue wallonne" envers les écrits progressistes.
Citons cependant deux exceptions au niveau des prix littéraires: "So l'anuti" (L. Hendschel) a obtenu le prix de la Communauté Wallonie-Bruxelles en 1995, malgré son orthographe progressiste (wallon unifié, rifondou walon), et "Mignolet" (J.P. Dumont) s'est vu attribuer le prix du Coirneu en 2001, malgré ses scènes "pornographiques".
Quant au roman "Li batreye des cwate vints" (L. Mahin), il a trouvé un éditeur indépendant qui a pris le risque commercial de le diffuser dans les circuits de librairie normaux.
D'autre part, Lucien Somme et Chantal Denis ne semblent pas découragés par la difficulté de commercialisation de leurs romans, des purs récits du 21ème siècle avec transposition des dialogues en wallon, puisqu'ils continuent chacun de son côté, à en sortir un par an.
Comme quoi le wallon, dont on disait en 1860 que ce n'était pas un crime de la laisser mourir de sa belle mort, n'a peut-être pas fini de nous étonner. Entre autres, par l'immense émancipation, au niveau de ses domaines d'utilisation, qui va de paire avec la démarche de planification du corpus. Qu'on pense simplement à la partie wallonne de l'encyclopédie Wikipedia !
Mais cela est une autre histoire.
Li 15 di djulete 2004.
Texte présenté au Prix Walla 2004.
Les titres des œuvres littéraires et les passages en wallon sont écrits en orthographe unifiée (rifondou walon).
Danielle Trempont a scrît:
Dj'é lu vos scrîjâdjes èt dji dwè vos dîre qu'a m' chènance vous, vos n'avèz nin lu toutes lès pâdjes di mès lîves.............:-))) mins i n'èst nin trop târd pou l'fé..........vos vîrèz insi què dj'é scrî saquants-istwêres sul Congo èt qu'cès-istwêres la, èles ni pârl'nut nin dès Congolèsses mins bin d'mi......c'est m'djon.nèsse què dji raconte nin l' cène dès Congolèsses !!!!!! dins : Plin soya- Ene vènéye di jacaranda-Na mapema!- Trwès môjos pou fé in vilâdje ( WALLON n°O) -Ôs inocènes lès mwins plènes " pârle dè toutes lès feumes d'Afrique èt.."Afrique à fric "........dès bouriatrîyes dès-omes!
Response da Lucyin:
Mande escuze: dj' a scrît çoula al varade, å plin mitan d' l' ovraedje del hôte såjhon (l' esté po nozôtes), sins rlére tos les lives ki dj' endè cåze.
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