Ké walon po dmwin ?

Aspects du mouvement littéraire wallon au 19ème siècle dans une Belgique que l'on vient de créer.

 

L'article suivant s'inspire de l'étude "Notre langue wallonne : quelles chances d'avenir ? Quelques aspects des opinions de responsables culturels en matière de wallon.". Il s'agit d'un mémoire de licence en politique économique et sociale, de 170 pages, dont les 2 premières ont été rédigées en wallon et que, sous la direction du professeur Jean-Pierre Hiernaux, j'ai présenté à l'UCL en juin 1997. Un extrait de la synthèse dudit mémoire a paru dans la revue Singuliers, 1998, numéros 2 et 3.

Le wallon, langue latine propre à la Wallonie, langue existant depuis huit siècles, ayant à son actif une littérature assez importante, et parlée encore jusqu'à la première guerre mondiale par environ 90 % de la population concernée se trouve aujourd'hui en mauvaise posture. En réalité, ce chiffre de 90 % est basé sur des indices, mais les chiffres exacts concernant le nombre de locuteurs wallons font cruellement défaut.

Des Wallons ont en effet abandonné la transmission familiale de leur langue et, en un temps quasi record, se sont mis de plus en plus nombreux à être unilingues français. Déclin du wallon à toute allure ? Pourquoi ? Ce phénomène n'est peut-être pas dû au seul hasard. Une question parmi d'autres peut être posée : dans quelle mesure la situation actuelle du wallon serait-elle liée à la faiblesse de l'action menée à son égard par des responsables culturels du 19ème siècle ?

Pour apporter des éléments de réponse, j'ai spécialement examiné les abondants rapports et documents écrits en français par les principaux dirigeants de l'aïeule de la Société de Langue et de Littérature wallonnes, la S.L.L.W., et figurant dans bulletins et annuaires que celle-ci a publiés durant la période choisie de 1856, date de sa fondation, à 1914.

Après un rapide rappel de quelques éléments relatifs au wallon et à la Wallonie, le présent chapitre propose un aperçu de l'idéologie des leaders de la S.L.L.W. du 19ème siècle telle qu'elle peut se dégager de leurs textes. Seront ensuite brièvement abordés pour la même époque en Wallonie, le phénomène des " écrivains-ouvriers " publiant en wallon ainsi enfin que le rôle joué par le jacobinisme de gauche à l'égard du wallon.

Avant de passer dans le vif du sujet, voici quelques points de repères.

Le rapport français-wallon.

Faut-il insister sur le fait que le wallon n'est pas du mauvais français ? C'est bel et bien une langue d'origine latine à part entière comme celui-ci mais qui, pour des raisons extralinguistiques, a, en revanche, politiquement et socialement nettement moins bien réussi que lui.

Signalons aussi que pas mal d'adversaires du wallon taxent celui-ci de patois, ce qui est une des façons de le dénigrer. Patois, ce mot français qui d'ailleurs soulignons-le, fait curieusement défaut dans les autres langues.

Langue de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie européenne dès le dix-huitième siècle, où l'on constate une véritable gallomanie, le français sera réputé à " vocation universelle ". A cette époque, c'est " classes dominantes de tous pays, unissez-vous " (C. Duneton. Parler croquant Editions Stock.1973, p.60.). Un grand philosophe allemand du 19ème n'affirmera-t-il pas qu'il ne croit qu'à la culture française.

Reconnaissons que ce rôle international est nettement battu en brèche par l'anglais actuellement. Au début de ce siècle, le français constitue la " langue du dimanche ", la langue empruntée du peuple wallon. Ce sera une langue de promotion sociale, d'adoption, acquise parfois Dieu sait à quel prix, par ceux qui veulent sortir du peuple. On reconnaît généralement qu'elle excelle à rendre des idées générales. " Sa majesté la langue française " est la langue de la philosophie, des sciences et s'est dotée d'une littérature d'une qualité particulièrement prestigieuse.

La glottophagie.

Willy Bal, éminent spécialiste du wallon a écrit que " le français est glottophage (mangeur de langues) ", ce qui est tout différent de ce qui se passe ailleurs, par exemple dans les régions germaniques. Le même connaisseur du wallon n'hésitera pas en outre, à préciser que " linguiste, je ne reconnais au français aucune supériorité intrinsèque par rapport au wallon. Si celui-ci est minorisé par rapport au français, c'est en raison de facteurs extralinguistiques ".

Cette minorisation atteint un point tel que certains vont à présent jusqu'à se demander si le français ne devient pas le tombeau du wallon.

Un mot des institutions politiques.

La Belgique est reconnue par la plupart des historiens contemporains comme un Etat créé artificiellement en 1830 par des puissances étrangères, et à la tête duquel sera placé un roi étranger. Cet Etat juxtaposait, c'est là une caractéristique essentielle, une population latine et une population germanique, et ce, sans consultation aucune de ses habitants.

D'autre part, on peut observer que l'histoire de la Wallonie, l'histoire de ceux qui nous ont précédés ici en Wallonie, l'histoire de toutes les richesses passées de Wallonie, de ce qu'elle était, de ce qu'en définitive nous sommes, tout cela nous a été systématiquement caché en raison de sombres mobiles idéologiques et politiques. Comme pouvait l'écrire en 1981, Raymond Mouzon, "il y a 50 ans, les Ardennais ne savaient pas qu'ils étaient Wallons ".Or, comme le rappelle par ailleurs, avec pertinence J. Louvet, sans passé, point d'avenir. De rares ou timides exceptions voient le jour en Wallonie, notamment à Louvain-la-Neuve et dans l'enseignement secondaire, sous l'impulsion du très grand historien Léopold Génicot, qui par ailleurs, se revendiquait wallonophone. De nombreux Wallons voient dans l'enseignement de l'histoire, un des éléments indispensables au renforcement de l'identité wallonne.

Les richesses de la Wallonie, tout comme celles du wallon restent dès lors à découvrir pour nombre de Wallons. Il est intéressant de se rendre compte que la Wallonie est d'abord une notion sentimentale liée à la langue et à la littérature wallonnes, liée au sens régionaliste avant de devenir enfin depuis une vingtaine d'années, un concept politique.

La Wallonie, où, actuellement, le français prédomine tous azimuts, où la civilisation française est largement assimilée, reste néanmoins séparée de la France par l'histoire et par une frontière politique. Une région contiguë de la France, qui ne lui appartient pas, écrira en 1973 dans l'introduction à l'Histoire de la Wallonie, le professeur Léopold Génicot (Privat Editions Universitaires, 1973, p. 5).

Les autres petites langues en Europe.

Comment ne pas être frappé par le fait que certaines langues peu répandues en Europe connaissent un sort nettement plus favorable que le wallon ? Citons l'exemple du luxembourgeois, que nous analyserons plus en détail au dernier chapitre.

Il est intéressant de constater ici qu'une même langue reçoit quatre statuts différents selon le pouvoir étatique dont elle relève : langue nationale au Grand Duché, langue régionale endogène dans la communauté française de Belgique, langue de la région de Thionville et qui peut faire l'objet d'une épreuve au baccalauréat en France mais qui n'est pas reconnue au bureau français des langues moins répandues ; enfin, aucun statut en Allemagne dans la région de Bitburg.

Après ces considérations préliminaires, voyons quelles furent...

Les prises de position de la S.L.L.W. entre 1856 et 1914 : aperçu général.

A l'occasion du 25ème anniversaire du règne de Léopold 1er, naît à Liège l'ancêtre de la S.L.L.W., dans une Wallonie industrielle, deuxième puissance industrielle du monde. Les organisateurs vont fonder une institution permanente consacrée au wallon. C'était en 1856, quelque 12 ans après la création même du mot Wallonie par Joseph Grandgagnage. Selon l'exquise expression de Jean-Pol Hiernaux, petit à petit, la Wallonie apprendra son nom.

L'Europe est alors en pleine mode du régionalisme et du romantisme. Pensons au futur prix Nobel de littérature, Frédéric Mistral en Provence, à Henri Conscience en Flandre et à nombre d'Etats-nations qui, à cette époque, se sont constitués en forgeant une " langue nationale ".

Bien sûr, une activité littéraire wallonne produite par des lettrés aristocrates préexistait à Liège, où les plus anciens textes cités remontent à 1620 et où l'on parlait encore en 1789 le wallon dans toutes " les meilleures maisons ".

Liège, foyer culturel wallon est déclaré siège éternel de la Société, même si, par ailleurs, le canon liégeois ne s'imposera jamais à la Wallonie. Les banquets solennels de la S.L.L.W., plus ou moins annuels, vont y connaître un vif succès et attirent une partie de la bonne société, intéressée à se montrer à bord. Le roi lui-même participera aux festivités du 75ème anniversaire.

Le nombre de membres titulaires passe de 30 à 40 au cours de la période considérée et en 1913, on dénombre jusqu'à 1.000 membres adhérents, dont plusieurs dizaines d'étrangers. C'est Jules Destrée (1863-1936), avocat, brillant orateur, homme politique, éveilleur wallon exceptionnel, qui n'hésite pas à déclarer que la S.L.L.W., intéressée dès le début à tous les parlers romans de Wallonie, a joué un rôle culturel important dans toute la Wallonie.

N'a-t-elle pas suscité des oeuvres admirables notamment grâce à des concours : par exemple, en 1885, la triomphale et retentissante pièce de théâtre d'Edouard Remouchamps " Tåtî l' pèriquî " tenant à la fois de Molière et du vaudeville ? Ou encore des écrits du grand poète " parnassien " Henri Simon, ainsi que le dictionnaire des proverbes du président-notaire Dujardin, des glossaires technologiques etc.

Les dix premières et les dix dernières années de la période de référence sont particulièrement fastes.

Dans le prolongement de la S.L.L.W., d'intéressants cours universitaires de dialectologie, où l'on réalise nombre de riches travaux philologiques, voient le jour dès 1920. Se crée à Liège en 1913 un remarquable musée de la Vie wallonne, dont les enquêtes seront publiées annuellement. Une commission de toponymie sera constituée en 1913, prenant le relais de certaines études de la société. La revue Wallonia, à laquelle succédera " La Vie wallonne " est fondée en 1890 par O. Colson. Elle assurera la relève des études folkloriques menées par la S.L.L.W., appelée aussi tantôt " La Société ", " la société savante ", tantôt " l'académie wallonne ".

Les objectifs de la Société sont clairement définis dans les statuts : 1) mise sur pied d'un système d'orthographe wallonne. 2) production littéraire ayant pour souci d'exprimer avec talent la beauté, l'humain, l'universel. 3) maintien de la pureté de la langue et de l'antique idiome. Il paraît hors de question de vouloir un autre développement de la langue. 4) création d'un dictionnaire général des parlers romans en Wallonie. 5) moralisation du peuple. 6) sauvegarde du wallon : il y a urgence à ce que ce patrimoine, soit inventorié puis fixé.

Remarquons toutefois qu'un André Delchef, pourtant première médaille d'or de la Société, n'hésite pas à affirmer que le wallon agonise et que ce n'est pas un crime de le laisser mourir de sa belle mort.

A l'exception du quatrième objectif, qui, malgré la constitution de centaines de milliers de fiches, ne sera pas atteint, en raison notamment de dissensions internes, tous ces points seront réalisés.

Quelques façons de penser des dirigeants de la S.L.L.W.

Quelles sont les idées qui ont guidé les responsables culturels de la S.L.L.W. ?

Les premiers membres de la société sont pour l'essentiel des citadins, notables, bourgeois aisés, commerçants, industriels, intellectuels, satisfaits de leur réussite sociale, ignorant beaucoup de la vie des ouvriers, des artisans et des paysans. Ils sont francophones, le français étant d'ailleurs l'indice de leur réussite sociale. Ils sont intéressés par le wallon en tant que divertissement. Ils appartiennent, sauf exceptions, à un milieu de tendance libérale, voire franc-maçonne. Sans être dupes, ils marchent dans l'espérance en la consolidation de la Belgique, ensemble nouvellement créé, sans frontières féodales, doté d'institutions libérales qui s'accordent à merveille avec leurs privilèges sociaux, culturels et économiques.

Ces membres de la classe dirigeante se montrent extrêmement Belges, patriotes, royalistes. On peut ajouter qu'ils se sentent Belges quand ils parlent français. Le français, que l'on veut ciment de la fragile Belgique, est la seule langue reconnue comme sérieuse, et qui y sera privilégiée. Il est la langue de séance de la S.L.L.W.

Le wallon n'y est pas la langue favorite et pour peu, serait considéré comme insolite dans ce contexte. Même entre membres liégeois, le français est de rigueur. N'est-il pas par exemple assez surprenant d'apprendre que Charles Grandgagnage, célèbre linguiste, rentier puis sénateur qui fut président de 1857 à 1878 ne parlait pas wallon. ? Que ces responsables culturels wallons se targuent de parler français entre eux, de s'exprimer en français à leurs enfants, n'est pas une donnée neutre pour appréhender leur conception de l'avenir du wallon.

Pourtant, point de référence à la France, sinon négative, pas plus qu'à la latinité du wallon. Plusieurs sont en effet francophobes : ce n'est pas là qu'il faut chercher l'origine du rattachisme à la France.

En Wallonie, pays latin, pas de mouvement, bien entendu, visant à détruire le français comme le projettent et réussiront à le faire des Flamands, humiliés sembablement par leur bourgeoisie francophone.

Voici quelques-unes des figures de proue de la Société, rendues célèbres en Wallonie : Charles Grandgagnage, linguiste auquel l'Europe rendra hommage ; François Bailleux, auteur de " Vinez, Marèye ", Jules Feller, Jean Haust, le maître des études de dialectologie wallonne Notons que ni Grandgagnage, qui a baptisé la Wallonie, ni Haust, qui a consacré la valeur d'une maison à ses activités sur le wallon, ne parlaient, semble-t-il, couramment le wallon.

Jean Haust aura trois disciples : Elisée Legros, Louis Remacle et Maurice Piron. Sans Haust, nous n'aurions pas eu le grand poète Henri Simon. Il est l'auteur entre autrs choses de la pièce " Djan'nnèsse ", traduction de Tartufe de Molière, dont Jean-Marie Pierret écrira dans le Luxembourg dialectal 81/4 : " En plus d'un endroit, il a des ressources qui permettent de se rendre compte que le dialecte wallon lorsqu'il est manié par un artiste comme Simon, peut l'emporter sur l'original. Et le professeur Pierret de l'U.C.L de citer :

" Le ciel défend, de vrai, certains contentements / Mais on trouve avec lui des accomodements " qui devient en wallon : I gn a bin des plêzirs disfindous dè bon Diu, / Mins gn a todî manîre di s'ètinde avou lu (vers 1487-1488).

Des noms de contestataires : Demarteau, Wilmotte, Demoulin. Et peut-être aussi Nicolas Lequarré, qui faisait tous ses discours en wallon. Il est aussi l'auteur d'un article presque scientifique sur la numismatique au pays de Liège, ouvrant ainsi la voie à l'utilisaion du wallon pour produire de la prose non narrative. Vous pouvez trouver cet article : Li manôye å vî payi d' Lîdje sur Internet.

Evocation de la ptite patreye.

Que n'a-t-on pas célébré cette pitite patreye au 19ème siècle ! "L'élément attendrissant d'un culte de la petite patrie est là pour conforter l'idéologie nationale, pour diffuser le culte de la grande patrie " dira H. Giordan. C'est notre petit bien qui évoque l'odeur du foin, la silhouette du clocher. L'amour de la petite patrie suscite des oeuvres sentimentales, dira Charles Defrêcheux au 75ème anniversaire de la Société. Le wallon comme l'écrira à propos du provençal le prix Nobel Frédéric Mistral " ouvre les portes de la ptite patreye ".

" Aimer sa langue, c'est aimer sa petite patrie ", précisera le président Nicolas Lequarré. Il s'agit donc de " l'hymne au Perron ", d'un patriotisme local, parfois simpliste dans sa forme linguistique, que l'on marie avec le " chant des Belges ".

Peu de place pour un grand attachement géographique à la Wallonie dans son ensemble, et, du moins les 50 premières années, une absence évidente de structure bourgeoise régionale wallonne. La Société ne nourrit pas de grandes ambitions pour le wallon qui est refoulé vers des sphères limitées. C'est le " laissez-faire l'usage " ou cette déclaration " nous aimons le wallon, nous savons quel est son rôle ; nous ne voulons pas lui en voir remplir un autre". Ce parler permet d'amuser les classes les plus instruites par la peinture des petites misères. Il est aussi à ses yeux un objet de science, pour la philologie. A la limite, ne sert-il pas parfois de faire-valoir au français et à ses représentants ?

Cela dit, les premiers dictionnaires wallon-français ont des visées normatives explicites : en mettant en parallèle les usages wallons et français, ils souhaitent favoriser la pratique d'un français purifié de tout abâtardissement par le wallon. Parfois, le wallon n'existe qu'en fonction de l'étranger : c'est le cas de la traduction de la parabole de l'enfant prodigue destinée à une demande française.

Les membres de la société sont motivés par le désir de propager des idées saines, des sentiments honnêtes, des émotions généreuses. Ils veulent relever la poésie, s'attacher à l'édification de la masse laborieuse du peuple qui doit imiter la bourgeoisie tout en restant à sa place : il s'agit là d'une attitude imprégnée de paternalisme.

Un même rôle est généralement attribué au 19ème siècle au wallon et au flamand. Y compris par les Flamands. Le néerlandais ? " C'est une langue étrangère ". L'abbé Cuppens, traducteur en flamand des oeuvres de Defrêcheux, l'auteur notamment du célèbre " Leyiz-m'plorer ", et un des membres fondateurs de la S.L.L.W., s'exclamera " Quand aurons-nous un Defrêcheux ?".

Il faut attendre la fin du 19ème pour que le wallon soit ressenti chez certains comme le symbole d'unification des Wallons, et ce, en réaction à la montée en puissance de la nation flamande. Mentionnons à ce sujet, cette phrase écrite fin du 19ème siècle par le secrétaire de la S.L.L.W.

" Il est temps que le Wallon se remue, sans quoi il deviendra flamand ".

On rappellera à ce propos qu'il y eut des interventions en wallon au Parlement, en réponse à l'introduction du flamand dans l'hémicycle. Dans son livre " L'apport des courants régionalistes et dialectaux au mouvement wallon naissant ", paru à Louvain-la-Neuve en 1997, Arnaud Pirotte a magistralement démontré l'existence à cette époque d'un lien entre mouvement littéraire et sentiment wallon.

Résumons par quatre traits les caractéristiques des dirigeants culturels wallons d'alors, telles qu'on peut les découvrir à travers leurs nombreux écrits. Tout d'abord, ils veulent moraliser dans leur langue les classes laborieuses. Manifestement, il y a là une forme de paternalisme condescendant. Ensuite, ils témoignent incontestablement d'un amour du patois local. S'ils ont par ailleurs une grande volonté de forger un patriotisme belge alors embryonnaire, abstrait, ils souhaitent aussi se donner une certaine place dans la francité.

On le constate, les membres influents de la S. L.L. W. à ses débuts ne contribuent guère à l'émergence d'une langue wallonne. Comment promouvoir une langue en tant qu'instrument de communication, en tant que langue identitaire d'un peuple, en tant que patrimoine linguistique amené à se transmettre aux générations futures, si on ne lui assigne comme principal horizon que la philologie, le clocher ou le musée ?

Malgré les objectifs atteints par l'académie wallonne, malgré les mérites, la compétence et l'énergie de nombre de ses leaders, malgré l'apport indéniablement très riche de la société qui a donné des lettres de noblesse au wallon, force est de reconnaître que l'idéologie qui y était dominante n'a pas favorisé la pérennité du wallon en tant que " langue vivante ".

La production des écrivains-ouvriers en wallon.

Il conviendrait de s'interroger au passage, sur l'impressionnante quantité d'oeuvres écrites souvent " à la diable " dès la fin du 19ème siècle et qui est le fait d' écrivains-ouvriers, primaires, puis autodidactes, appelés aussi instinctifs, exprimant, certes en wallon, mais en wallon peu élaboré, des clichés faciles, des banalités, des bévues et des mièvreries en tout genre, ce qui expliquera que leur peu de succès fut souvent éphémère (Bal W., Pertinences de la littérature dialectale de Wallonie à ses différents âges. Colloque de Trêves 17-19 mai 1979. p. 403 et suivantes.).

Hommes du peuple, des écrivains sont avant tout éveillés à certains aspects de leur langue par le mouvement romantique prônant une exaltation des sentiments, un retour à la nature, aux sources de la création populaire. N'est-ce pas pour eux la seule voie d'accès à l'émotion esthétique, la dernière chance de créativité ? Si on note de la désinvolture, de l'indiscipline dans le style, ce qui exaspère et désespère certains membres du jury de concours de la Société, il faut reconnaître chez eux une incontestable passion pour la langue wallonne.

Paradoxalement, il est frappant de constater l'absence d'écho dans leur prise de parole, dans leurs écrits de la condition sociale d'atroce misère qui est peut-être la leur, en tout cas celle de leurs semblables. On était en droit d'attendre de leur part une défense des revendications du peuple. Il n'en fut rien. Aucune prise de conscience sociale, d'identification, de prise en charge n'apparaît. Les conflits sociaux ne sont pas abordés mais remplacés par des dérivatifs, des diversions. Par contre, la diffusion du français va permettre le développement des revendications du mouvement ouvrier.

L'idéologie jacobine et l'évolution du wallon

Mentionnons enfin le rôle néfaste joué par l'idéologie jacobine sur l'évolution du wallon. Il existe au 19ème siècle dans certains milieux de gauche français un certain courant jacobin fondé sur les principes universels des Lumières, notamment d'égalité, sur les idées de l'ancien club de la révolution, dit club des Jacobins. On y prône l'unité de la nation par le centralisme et la bureaucratie.

Ce courant se retrouve en Wallonie. Cela peut expliquer que certains leaders, notamment socialistes, ne feront guère la promotion du wallon mais préconiseront plutôt l'ascension sociale de la masse ouvrière par l'enseignement grâce au remplacement du wallon par le français, langue du siècle des lumières, langue de la révolution. Ce qui revient à vouloir adopter la langue de l'élite et donc à tenter d'imiter sur certains points la bourgeoisie.

Le corps politique comme le corps humain devient un monstre s'il a plusieurs têtes. L'unité du Peuple, de la Nation est à même, selon le jacobinisme de réaliser l'égalité de tous. Tout ce qui fragmente l'unité du Peuple est à combattre. Le français est un indispensable facteur d'unité. Devrait parler français et uniquement français tout individu ou groupe englobé dans l'Etat-Nation. Il convient de balayer les privilèges locaux, de dissoudre les collectivités de l'ancien régime que sont les provinces, duchés etc., de se débarrasser des langues locales, de faire progresser l'unité linguistique c'est-à-dire le français, langue de toute la nation. Une fois que le peuple aura une seule langue, il existera politiquement.

L'idéologie jacobine défend les intérêts situés au-dessus de l'individu, les intérêts supérieurs du Peuple souverain. Quant au peuple concret, existant réellement, il obéit aux représentants de cette idéologie. Au nom de la Démocratie, du Peuple, on impose au peuple le point de vue des intellectuels, des citoyens éclairés, députés et militants : il y a comme une dictature de la part des élites jacobines. " Tout pour le peuple, rien par le peuple ".

En fin de compte, celles-ci ne connaissent-elles pas spécialement le peuple par l'idée abstraite qu'elles s'en font ?

En Belgique, le rêve des Jacobins, c'est un Etat unitaire avec comme centre de gravité, Bruxelles qui a donc prédominance sur la province.

Il est clair que le jacobinisme ne sera pas sans effet sur le sort réservé au wallon. On peut se demander si certains aspects du combat jacobin ne subsistent pas aujourd'hui dans les positions de Wallons de gauche, qui apparemment s'obstinent à ignorer, à mépriser sinon à nier langue et culture wallonnes avant de passer à une certaine négation du peuple wallon.


Jacques Werner, divins: Qué walon po dmwin, Quorum, Gerpinnes, 1999.


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