Kén avni po nosse walon lingaedje ?

Notre langue wallonne: quelle chance d'avenir ?

A l'écoute de 20 personnes actives dans le monde du wallon, fin 1996.

Jacques Werner, mémoire UCL, 1997

Contact J. Werner

Dans le cadre d'un mémoire en sociologie, effectuée à l'Université de Louvain-la-Neuve, il m'a été donné de rencontrer, fin 1996, 20 personnalités impliquées dans la promotion du wallon. Cette page vous résume cette étude.

Population interrogée

Les 20 responsables en question sont issus des 5 provinces wallonnes, avec une majorité, 12 personnes, venant de la province de Liège. Six d'entre eux sont membres de la Société de Langue et de Littérature Wallonnes (S.L.L.W.), huit de l'Union Culturelle Wallonne (U.C.W.), et six appartiennent aux deux sociétés à la fois. Il s'agit de personnes familières de lieux de décision en matière de culture wallonne, envisagée sous l'angle essentiellement linguistique. Les professeurs d'université n'ont pas été interrogés car il m'a semblé qu'ils méritaient à eux seuls une étude spécifique, ce que je ne pouvais me permettre.

La moyenne d'âge des interviewés est de 58 ans. Les plus jeunes, dont trois ont moins de 40 ans, appartiennent majoritairement à l'Union Culturelle Wallonne. Aucun d'eux n'a une profession d'indépendant mais la moitié sont enseignants, treize d'entre eux sont pensionnés. L'un d'eux est docteur et six autres sont licenciés. On notera encore un net déséquilibre entre les hommes (19) et la femme..

Analyse thématique des interviews.

La méthode semi-directive employée lors des entretiens a pour but de permettre aux interviewés de structurer eux-mêmes leurs réponses autour de certains thèmes : la fierté d'être Wallon, la définition du wallon, le rapport wallon-français, le développement d'un wallon unifié, l'identité culturelle, etc.

L'analyse thématique permet de dégager six profils

Deux des six profils présentent vis-à-vis de la Wallonie un rapport d'identification exogène, c'est-à-dire que ceux qui les interviewés qui entre dans ces profils se sentent attachés, en premier lieu, à une entité politique qui n'est pas la Wallonie. Il s'agit tout d'abord de deux francophiles, c'est-à-dire qui considèrent la France comme modèle de référence. Face à la domination flamande, qu'ils souhaitent combattre, la langue française est à leurs yeux une parade plus efficace et plus élégante qu'une référence au wallon. Deux autres interviewés se définissent comme Belges, l'actuel état fédéral étant l'entité collective à laquelle ils se rattachent, plutôt que la Wallonie.

Par contre, les quatre autres profils entretiennent vis-à-vis de l'entité territoriale wallonne un rapport d'identification endogène. On trouve dans ce groupe trois localistes, célébrant l'attachement à la petite patrie, au terroir, six provincialistes, qui élargissent cet horizon à la dimension de la province, et deux nationalistes qui s'identifient clairement à la Wallonie en tant qu'entité politique. Restent cinq natioculturalistes qui revendiquent une identité wallonne à la fois sur le plan culturel et sur le plan politique.

Confrontons maintenant ces profils à quelques-unes des thématiques abordées.

Wallon et identité culturelle.

Pour les francophiles, si le français est la langue fascinante de tous les possibles et un instrument de promotion sociale, le wallon, quant à lui est surtout appréhendé comme la langue savoureuse et authentique du petit peuple. " C'est une salade de dialectes passionnants " explique le premier. " Plutôt la mort que l'inauthenticité du wallon " souligne le second. Un avis similaire est émis par les " Belges " aux yeux desquels le wallon est un parler expressif, favorisant la convivialité.

En revanche, le wallon présente essentiellement une valeur patrimoniale locale ou sous-régionale chez les localistes et les provincialistes, tandis que les nationalistes estiment qu'il s'agit d'un plus identitaire pour la Wallonie. La valorisation du wallon est maximale chez les natioculturalistes, pour qui il s'agit d'une langue officielle à côté du français. " La langue wallonne, c'est le tisonnier de l'identité culturelle " affirme l'un d'eux.

Wallon et français.

Tous les interviewés illustrant les cinq premiers profils, à l'exception d'un localiste, estiment que le wallon est un parler largement inférieur au français, par valeur intrinsèque ou par destination. Le français est une langue riche, policée, universelle, de culture bourgeoise, langue éternelle et donc d'avenir, face au wallon dont les caractéristiques sont d'être petit, pauvre, local, réduit aux sphères intimes et conviviales de la connivence, fractionné, authentique, " richesse à maintenir intacte ", divertissant mais inutile, du passé et donc mortel.

Pour leur part, les natioculturalistes, placent ces deux langues sur le même pied, leur attribuant des droits et des vocation similaires. Ils considèrent le wallon comme utile, comme langue vivante de communication, susceptible de remplir toutes les fonctions langagières. Ils sont partisans d'un wallon écrit unifié, d'un wallon à adapter à la modernité, d'un wallon à apprendre à l'école et qui aurait largement sa place dans les media, dans les interventions publiques des personnalités wallonnes, dans les nouvelles technologies etc. Plusieurs d'entre eux rappellent quel est le processus mis en place durant des décennies : brimades feutrées et incessantes à l'égard du wallon engendrant chez les locuteurs un sentiment de honte et de mépris envers leur langue et finalement un reniement de celle-ci.

L'avenir du wallon.

La majorité des interviewés sont pessimistes sur ce point. Les francophiles refusent tout avenir au wallon, lequel est plutôt destiné au musée. Les provincialistes sont résignés à son agonie, sauf dans le domaine de la littérature. Les nationalistes n'y croient guère, à moins d'un revirement inespéré. Seuls les natioculturalistes font preuve d'un optimisme prudent et plaident en faveur d'un wallon langue vivante, à la renaissance duquel ils se consacrent.

Sur le point précis du wallon unifié, li rfondu walon, seul le groupe des natioculturalistes marque une adhésion sans réserve. Tous sont membres de l'U.C.W. Par contre, les réticences sont beaucoup plus fortes ailleurs, en particulier chez cinq des six philologues interrogés.

Pour ce qui est du wallon à l'école, plusieurs rappellent le rôle néfaste joué par cette institution : les instituteurs ne sont-ils pas appelés les fossoyeurs du wallon ? Au-delà, un net clivage oppose la majorité des interviewés, peu favorables à, ou peu convaincus par, l'enseignement des langues endogènes dans les classes, et la minorité qui se dit très désireuse de promouvoir le wallon à l'école.

La question de la R.T.W. en remplacement de la R.T.B.F.

On a posé la question de savoir si les interviewés seraient favorables à la création d'une Radoo-Télévision Wallonne (R.T.W.), ce qui supposerait la suppression de la communauté française ou en tout cas une régionalisation de la culture.

Les francophiles se montrent peu enclins au maintien de liens avec Bruxelles. " Les Bruxellois ne feront rien pour nous. Il ne faut pas se faire d'illusions. On a créé une ville artificielle qui s'appelle Bruxelles. Vous savez : que Bruxelles redevienne flamand ne me gêne pas; on pourrait régionaliser la R.T.B.F. Et pourquoi pas ? ".

Les " Belges " sont plutôt réfractaires à l'idée de remettre l'institutionnel en question. Ils sont contre la suppression de la R.T.B.F. " Il y a quand même un million de Bruxellois francophones, qui parlent le français, ce qui n'est pas négligeable ", fait savoir un interlocuteur.

" Bruxelles est comme une écharde dans la chaussure. ", considère un des localistes. Les autres sont assez hésitants vis-à-vis de la régionalisation des matières de la communauté française.

Par contre, des avis partagés se retrouvent parmi les provincialistes. Quatre se montrent opposés au lien Wallonie-Bruxelles. " Ce qui est grave, ce sont des Wallons devenus Bruxellois qui crachent dans la soupe. La communauté française? Rien que le nom, c'est une ineptie. " Deux se déclarent en faveur du maintien de liens avec Bruxelles, mais les raisons mises en avant apparaissent mineures. Voici les explications du premier : " Je parle wallon au Vieux Marché. Nous couper des Bruxellois, ce serait à nouveau perdre combien de vieux Wallons qui continuent à se sentir Wallons. " Et, cette autre réponse du second : " Oui, aux liens avec Bruxelles, avec des Bruxellois authentiques. "

Quant aux nationalistes politiques, l'un s'exprime à ce sujet comme suit : " Rendons une identité à la Wallonie en donnant des émissions qui lui sont propres. Vu l'état des institutions wallonnes (prébendes, particratie..), il préfère, de guerre lasse, le statu-quo ". Un autre interviewé déclare " être partisan d'une R.T.W. ; absolument ; ce sera plus clair. Les Bruxellois ont beaucoup de mépris envers la province et maintenant, au secours, les provinciaux ! Ils ne doivent pas s'attendre à des miracles. "

Avec les natioculturalistes, le message est clair : " Oui à la R.T.W. Dans la communauté française, la culture wallonne est parent pauvre; la communauté française, c'est de la vaste blague. Tant qu'on aura les Bruxellois sur notre route, on ne saura rien faire. Il faut supprimer la communauté pour que la Wallonie ait un projet culturel. Communauté française : machine à écraser la Wallonie, nier son existence. " Si les natioculturalistes proclament leur choix d'une R.T.W., c'est en raison du projet d'édification à terme d'un Etat wallon plus autonome, aussi bien à l'égard de Bruxelles que de la Flandre.

En bref, ce qui peut être assez surprenant ici, c'est le peu d'enthousiasme d'un nombre non négligeable de responsables culturels wallons interrogés à continuer, dans les conditions actuelles, à se trouver réunis à des Bruxellois au sein d'institutions culturelles communes.

Conclusion.

Si l'analyse esquissée ci-dessus se vérifie dans d'autres recherches, on peut parler d'un clivage entre " Belges " et francophiles d'une part et les autres profils d'autre part. Les premiers présentent une identification à la langue et la culture wallonnes de nature plutôt individuelle et de type affectif, tandis que les autres s'identifient à cette même réalité par une affirmation de type collectif, soit en référence au passé, soit en fonction de l'avenir. C'est cette dernière attitude qui permet d'espérer un coup d'arrêt dans la déliquescence du wallon.

L'enquête fait également apparaître que si chances de survie il y a pour le wallon, c'est sans doute du côté des renaissantistes qu'il faut la chercher, notamment parce que les acteurs impliqués dans le renouveau sont relativement jeunes et parce qu'ils travaillent sur des bases solides et pertinentes. Plusieurs d'entre eux ont en effet des contacts internationaux avec d'autres promoteurs des langues régionales et sont familiers des méthodes de l'aménagement linguistique et de la sociolinguistique. Leur enthousiasme sera-t-il contagieux ? Pourquoi pas ?

Comment ne pas souscrire ici au point de vue de W. Bal dans la revue Micromania (n°22, 1997, p.12-13) ? " Pour lutter contre la précarisation du wallon, il convient de mener une politique linguistique intégrée, dans le processus d'identification qui se développe en Wallonie, sur le plan politique comme sur le plan culturel, et que requièrent l'affirmation et la dynamisation de la région ".

Alors que nous entrons, dans le troisième millénaire, avec une mondialisation dépersonnalisante, avec une Europe qui se construit, avec un état belge que l'on dit dépérir de plus en plus, avec une Wallonie sur le chemin de la reconnaissance, voire de l'émancipation totale, cette indispensable interaction en faveur du wallon entre l'économique, le politique et la linguistique se réalisera-t-elle?

Le peuple wallon n'a-t-il pas une belle partie à jouer pour son wallon, qui le lui rendra bien ? L'avenir du wallon, catalyseur de tant de valeurs de la Wallonie ressemble au combat de David et Goliath. Peut-être n'est-il pas toujours vrai que " c' èst todi li p'tit qu' on spotche ". Comme l'écrivait à propos de la Wallonie, Jean Pirotte dans son livre déjà cité, L'imaginaire wallon, (Louvain-la-Neuve, 1994, p. 284) : " Nous sommes arrivés à un moment de béance, où tout est possible mais où rien n'est acquis "


Jacques Werner, divins: Qué walon po dmwin, Quorum, Gerpinnes, 1999.


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