Quelques pistes pour la popularisation de la littérature de langue wallonne

La littérature de langue wallonne, aussi remarquable qu'elle soit, reste trop souvent confidentielle et ignorée du grand public. Cette ignorance est très grave car non seulement elle constitue un frein à la diffusion de nos auteurs, mais elle contribue à la déculturalisation et à la désidentification du peuple wallon, en le renforçant dans l'idée que sa langue (mais nombre de jeunes Wallons ignorent de nos jours qu'il y a une langue wallonne), est une chose sans valeur qu'on a intérêt à voir disparaître.

L'action que j'avais entreprise en ressuscitant, dans l'esprit des fondateurs, les activités wallonnes de la société hutoise Li Cwèrneû avait pour but de revaloriser la langue wallonne aux yeux des Wallons, à stimuler la production littéraire par l'organisation de prix, à donner au wallon la place qui lui revient en forçant les portes de l'Elysette, des maisons communales et des centres culturels . Nous voulions également dynamiser la diffusion de la littérature en éditant des auteurs ( Joseph Durbuy) ou en organisant des journées de sensibilisation comme en mai 2004 Li Mureû dèl lîtèrateûre walone , rassemblement de ce qui s'écrit de nos jours en langue wallonne et destiné à sensibiliser les bibliothécaires (peu de bibliothèques de Wallonie possèdent un rayon " littérature wallonne " et peu de bibliothécaires sont formés à cette littérature.)

L'essor des activités wallonnes ne plaisait pas à tout le monde et on sait ce qu'il en est advenu au Cwèrneû où elles furent sciemment torpillées par la présidente. Celle-ci ne put cependant empêcher la publication de Contes di m' payis èt d' co pus lon et cette parution me décida de tenter une expérience. Je voulais relever le défi de la vente et de la diffusion de l'ouvrage pour lesquelles je savais ne pouvoir compter que sur moi-même.

Bien sûr, il y avait les démarches habituelles : communiqués et compte-rendus dans la presse, passage à la radio et à la télévision, articles dans les revues wallonnes, mais nous connaissons les limites de ces actions, aussi je décidai d'innover.

Mon principe directeur a toujours été que la culture devait partir de la base, c'est-à-dire de la population, qui devait pouvoir s'y reconnaître et non, comme c'est trop souvent le cas, venir de l'extérieur, d'en haut , vers des populations jugées ignorantes. Les publications en wallon devaient donc être accessibles à la population et surtout à celle chez qui la langue wallonne est encore vivace.Voici donc l'action que j'ai entreprise.

J'ai pris contact avec les autorités communales (bourgmestres, échevins de la culture de toute une série de communes rurales non seulement de la province de Liège, mais aussi de l'est de la province de Namur et du nord de la province de Luxembourg , en leur expliquant que ma démarche était essentiellement culturelle et non commerciale et qu'elle consistait à mettre à portée de notre population des ouvrages dans lesquelles elle pouvait se reconnaître et qui valorisait sa culture propre. Qu'il y avait aussi une part d'éducation et d'apprentissage de la lecture en général et de la lecture en wallon en particulier. Je demandai donc aux administrations communales de faire l'acquisition de l'ouvrage et d'accepter de le prendre en dépôt-vente dans les administrations communales. J'agis de même avec les bibliothécaires.

Cette démarche fût très bien accueillie, j'ai eu souvent l'impression qu'elle répondait à une attente et très rapidement une centaine d'exemplaires furent vendus et une autre centaine en dépôt dans une trentaine d'administrations et de bibliothèques.

J'effectuai une autre expérience. Puisque le public wallon ignore sa littérature, je décidai d'aller la lui présenter. On connaît le succès du théâtre wallon dans nos campagnes. Je demandai aux responsables de la troupe de Borsu en Condroz, l'autorisation de présenter à la vente les deux livres édités par Li Cwèrneû pendant les entractes des cinq représentations qu'ils devaient donner dans la salle du village. Malgré des conditions difficiles dues à la disposition des locaux , je parvins à vendre 16 livres, le plus souvent après un dialogue avec l'acheteur car la difficulté de la lecture du wallon était souvent invoquée. Je ne crains pas d'affirmer avoir amené à la lecture wallonne des personnes intéressées, mais plus que réticentes.

Fallait-il étendre ces expériences à l'ensemble de la zone du wallon liégeois et ainsi vendre et diffuser tous les exemplaires tirés ? J'avais communiqué au Cwèrneû les résultats détaillés de mes démarches. Au stade où j'étais arrivé, pour pouvoir poursuivre, un retour d'informations m'était nécessaire et je demandai au Cwèrneû qu'on veuille bien me communiquer la (petite) liste des communes et bibliothèques qui avaient effectué un virement direct sur le compte de l' asbl. Cette demande n'a reçu aucune réponse et devant cette volonté de sabotage de la diffusion de ses propres publications, je décidai de mettre fin à l'expérience et de cesser toute démarche.

Quelles conclusions peut-on tirer de cette expérience ?

Je crois qu'il y a un lectorat potentiel pour le wallon et que cela répond à une certaine demande.

Il faut aller vers le lectorat et non attendre qu'il se manifeste et si possible dialoguer avec lui pour vaincre ses appréhensions : le walon est difficile à lire, comprendrai-je (crainte d'avoir un wallon différent alors que l'intercompréhension est presque totale dans la même zone, ici l'est-wallon)

L'idée de créer une diffusion par la base, ici les bibliothèques et les administrations, me semble très prometteuse et transposable dans les autres zones (centre, ouest), de même que la présence lors des représentations théâtrales. Il faut se rapprocher du lectorat potentiel.

On voit qu'en y consacrant suffisamment de temps et d'énergie, on pourrait obtenir un effet boule de neige. La multiplication des ventes entraînant une multiplication du lectorat qui a son tour stimulera l'écriture et de nouvelles publications. Je le répète mes démarches auprès des administrations communales ont été très favorablement accueillies ainsi qu'auprès des bibliothèques. Il faut surtout avoir la volonté d'agir.

Avec mes meilleures salutations wallonnes


Jean-Pierre Dumont 17 Saint-Fontaine 4560 Clavier